La nouvelle promotion d’élèves conservatrices et conservateurs du patrimoine, accueillie début janvier 2024, a débuté sa formation par un séminaire de quatre jours au sein des institutions culturelles des départements de l’Isère et de la Savoie. Elle démarre ce lundi un stage en administration culturelle.
C’est le patronyme de Champollion qui a été choisi cette année pour représenter la promotion 2024.
Cette promotion entend s’inscrire dans l’héritage non pas d’un seul individu mais d’une famille, celle des Champollion, dont plusieurs d’entre eux se sont illustrés en matière de préservation, de connaissance, de transmission et de valorisation du patrimoine.
« Toute entreprise demande de la persévérance. En réussissant, tu trouveras une douce récompense de tes études et de tes travaux […]. En travaillant avec toi, je veux t’encourager ; je te seconderai si je le pouvais : mais au moins je te soutiendrai par des conseils. Je dois t’en donner encore un. Poursuis ton entreprise : n’attends pas que ton imagination se refroidisse. […] J’attache particulièrement la plus grande importance à ton entreprise. Tu entrevois déjà le succès. »
On pense tout d’abord à Jean-François Champollion, dit Champollion-le-Jeune (1790-1832), dont le déchiffrement des hiéroglyphes put se concrétiser grâce au soutien indéfectible de son frère. Alors que la fascination pour une Egypte antique rêvée gagne l’Europe après la campagne napoléonienne de 1798, le travail de Champollion le Jeune sur les inscriptions hiéroglyphiques jette les bases d’une discipline naissante : l’égyptologie, dont il crée à la fin de sa vie, en 1831, la première chaire au Collège de France. Philologue accompli, s’appuyant sur un réseau européen de linguistes, mais aussi d’étudiants et professeurs égyptiens installés à Paris2, il apprend entre autres l’arabe, l’hébreu, le grec et surtout le copte, qui lui donnent les clés pour déchiffrer la Pierre de Rosette. Il poursuit ses recherches en étudiant de nombreux objets de l’Egypte antique conservés dans les collections européennes, encourage le roi Charles X à acquérir la collection d’Henri Salt et devient en 1826 le premier conservateur des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Comme le rappelle Bénédicte Savoy dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 20173, Champollion le jeune est une figure caractéristique du développement de la notion de musée universel dans l’Europe du XIXe siècle, héritage qu’il nous appartient désormais de repenser.
Le parcours du jeune Champollion est indissociable de celui de Jacques-Joseph, dit Champollion-Figeac (1778-1867), l’aîné, passionné d’Égypte antique, professeur de diplomatique et de paléographie à l’École des chartes dont il a grandement participé à la refondation en 1829, ancien conservateur des manuscrits de la Bibliothèque Royale (future Bibliothèque nationale de France) puis de la Bibliothèque du Palais de Fontainebleau. Bibliothécaire, mais aussi professeur de grec, maire-adjoint puis correspondant de l’Institut en 1814, il participe à la première préface de la Description de l’Égypte4 avec Joseph Fourier5. C’est Jacques-Joseph qui accompagne son jeune frère dans son travail de déchiffrement de la Pierre de Rosette. Il l’aide dans son entreprise en mettant à sa disposition des relevés et moulages réalisés sur les temples égyptiens, avant que Champollion-le-Jeune ne puisse effectuer son unique voyage en Égypte en 1828. C’est également lui qui l’aide à rédiger la fameuse « Lettre à Monsieur Dacier » dans laquelle Jean-François expose sa découverte à l’Institut des Inscriptions en 1822. Jacques-Joseph publie, à titre posthume, les recherches sur les hiéroglyphes de son frère décédé prématurément en 1832 dans sa Grammaire et son Dictionnaire.
Zoraïde Chéronnet-Champollion (1824-1889), fille de Jean-François, poursuit le travail de transmission de la mémoire de son père entamé par son oncle. Elle réédite ainsi en 1868 la correspondance de son père écrite lors de son voyage en Égypte, dont la première édition publiée par son oncle était épuisée6.
Aimé-Louis Champollion-Figeac (1813-1894), fils de Jacques-Joseph et ancien élève de l’École des chartes, a compilé en volumes reliés les correspondances et notes de son père et de son oncle afin de conserver la trace et la cohésion de ce fonds exceptionnel7. Il devient lui-même directeur du Service des Archives départementales de France au ministère de l’Intérieur, puis membre correspondant de l’Académie des sciences de Turin dès 1847.
Enfin, les Chateauminois, héritiers directs des Champollion, sont à l’initiative de la demande d’inscription de leur domaine au titre des monuments historiques incluant la maison, les dépendances, le jardin mais également les lettres échangées entre les frères Champollion et quelques objets mobiliers classés au titre des MH8. Ils transmettent ensuite leur patrimoine au département de l’Isère qui rachète le domaine en 2001 en s’engageant à préserver cet héritage et à rendre les lieux accessibles au public. Le musée, que la nouvelle promotion a eu l'occasion de visiter au cours de son séminaire d'intégration, est né en 2016 et inauguré le 4 juin 2021 après d’importants travaux d’aménagement9 afin d’accomplir cette mission de partage du patrimoine.
L’histoire familiale des Champollion renforce l’idée que le patrimoine est l’affaire de tous, pour tous, le lieu où se rencontrent histoire individuelle et histoire collective. Chacun de ces acteurs illustre la pluridisciplinarité des missions de la conservation du patrimoine : la recherche, qui ouvre de nouvelles voies de connaissance ; la compilation des données, leur inventaire et leur classement ; la patrimonialisation de biens et leur conservation ; la mise en œuvre d’outils pour leur protection, et enfin la transmission de ce patrimoine, portant à la connaissance de tous nos histoires et cultures communes. Ce n’est pas l’effort d’un seul individu mais bien la mise en œuvre collective d’actions d’étude et d’inventaire, de conservation, de transmission qui a permis, d’une part cette avancée majeure du XIXe siècle que fut le déchiffrement des hiéroglyphes, d’autre part la conservation de ce patrimoine familial et historique. En choisissant le nom de Champollion, nous souhaitons ainsi nous faire les héritiers de cette logique de collaboration et de coopération, et préférer à une histoire faite par ses « grands hommes » un récit pluriel d’ouverture, de partenariat et de dialogue.
C’est dans le sillage de ces principes que se place la promotion 2024 des futurs conservateurs : l’idée que le patrimoine est une affaire d’ouverture, une responsabilité collective et un bien commun pour la connaissance, la préservation et la transmission duquel il appartient à chacun d’œuvrer.
Notes
1 Lettre de Jacques-Joseph Champollion à son jeune frère le 28 août 1808, ADI 185, J2, pièce 123, folios 229 et 230, voir Karine Madrigal, L’aventure du déchiffrement des hiéroglyphes, Correspondance. Les Belles Lettres, 2022, 2e tirage, pp. 58-59
2 Anouar Louca, L’autre Egypte, de Bonaparte à Taha Hussein, Institut français d’archéologie orientale, Le Caire, 2006, pp. 88-116.
3 Bénédicte Savoy, « Objets du désir, désir d’objets », Leçon inaugurale prononcée le 30 mars 2017 au Collège de France.
4 Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'Armée française, publié par les ordres de Sa Majesté l’Empereur Napoléon le Grand, Paris, Imprimerie impériale, 1809-1828.
5 Jean-Baptiste-Joseph Fourier, mathématicien français, il participe à la campagne d’Égypte en 1789, devient secrétaire de l’Institut d’Égypte, puis préfet de l’Isère en 1802.
6 Zoraïde Chéronnet-Champollion, préface à l’édition de 1848 des Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829 de Jean-François Champollion, consultable en ligne sur Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103771z
7 Consultable en ligne https://archives.isere.fr/page/correspondance-champollion
8 https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM38000834
9 https://egyptophile.blogspot.com/2022/09/la-maison-musee-de-vif-dans-lintimite.html